Christianisme orthodoxe et chrétienté celtique


Rédigé le Vendredi 17 Mai 2024 à 17:09 | Lu 33 commentaire(s)



in War Raok ! - n° 67 - Septembre 2023

 

La tradition de l’Orient chrétien est aujourd’hui la tradition vivante de l’Église alors que la tradition celtique est une tradition ecclésiale éradiquée aux environs du XIIe siècle. Certes, nombre de ses aspects ont plus ou moins perduré dans les cultures populaires des pays celtiques, mais celles-ci sont aujourd’hui peu à peu absorbées et dissoutes dans le grand chaudron positiviste contemporain. 

En Bretagne comme ailleurs, l’évocation d’une chrétienté celtique suscite généralement le doute, l’ironie, voire la suspicion (certains y ont même vu une « église pour les autonomistes ! »). Il est cependant de plus en plus fréquent de l’entendre évoquer, tant au travers de nombreuses publications que de démarches d’intérêt personnel ou communautaire.

Cette méconnaissance d’une des traditions chrétiennes les plus authentiques, le désintérêt de nos contemporains pour les racines à la fois vivantes et vivifiantes de l’Occident spirituel, la non-reconnaissance de l’histoire et des cultures celtes sont autant d’obstacles qu’il convient de lever. Ignorée de Bretons contemporains, la chrétienté celtique ne pouvait que l’être des orthodoxes russes ou grecs. 

En ce qui concerne les origines orthodoxes de la Celtie chrétienne du premier millénaire, un certain nombre de faits méritent d’être évoqués. La caractéristique fondamentale de la civilisation celtique, contrairement aux civilisations gréco-romaine ou germanique, est la primauté du religieux sur le politique, de l’autorité spirituelle sur le pouvoir temporel. Les élites spirituelles s’étant rapidement converties, il n’y eut que très peu de martyrs aux origines de ces églises. En revanche, les druides, les bardes devenus de grands moines sont en quantité. Il apparaît que l’évolution culturelle de la civilisation celtique s’est effectuée par le christianisme sans rupture, de telle sorte que l’on assiste à une véritable transmutation de la culture celtique pré chrétienne. Ainsi, tout ce que nous connaissons du cycle épique breton et irlandais pré chrétien nous est parvenu grâce aux écrits monastiques.

Les Églises celtes ont eu un caractère monastique très marqué. La Bretagne insulaire et surtout l’Irlande, préservée de l’influence romaine et de la menace germanique, engendrèrent une floraison monastique comparable à l’Égypte, la Palestine ou la Syrie des Ve et VIe siècles. Ces monastères-évêchés, qui structurèrent véritablement la société, permirent à l’Irlande le surnom d’île des Saints. Ils furent le creuset de la culture spirituelle des Celtes à leur crépuscule, donnant le jour à des œuvres d’une qualité artistique inégalée dans l’Occident. Faute de pouvoir reprocher aux Celtes une quelconque hétérodoxie, Rome n’aura de cesse de les éradiquer par le biais politique dont les Saxons en Bretagne, les Francs en Armorique et les Normands en Irlande seront les instruments privilégiés.

Le discours des « Celtes orthodoxes » oscille entre la nécessité de préserver la tradition intacte et le souhait que chaque peuple puisse développer sa propre expression religieuse. Des contradictions de ce genre définissent également l’image des Celtes. On les considère à la fois comme extrêmement conservateurs vis-à-vis de leurs traditions et comme les meilleurs représentants de certains traits de la modernité. Les populations contemporaines, qui revendiquent une identité celtique, sont censées avoir intégré et conservé, à travers les siècles, des éléments païens dans leur pratique chrétienne ; elles se veulent détentrices de valeurs que l’Occident, dans son développement matérialiste, est en train de perdre.

Pour les « Celtes orthodoxes », le détour par l’orthodoxie permet de nier les structures hégémoniques non seulement religieuses, telles que l’autorité romaine, mais aussi politiques, telles que la domination étatique anglaise ou française sur des régions celtiques.

L’Église Orthodoxe Celtique est l’une des plus anciennes du monde chrétien et connaît aujourd’hui un renouveau mondial depuis quelques décennies.


Dans la lande bretonne, le monastère Sainte-Présence

 

C’est donc tout naturellement que notre ami et collaborateur, Goulc’hen Danio de Rosquelfen, s’est intéressé à la présence de l’Église Orthodoxe Celtique dont le siège primatial se trouve au monastère breton de la Sainte-Présence à Saint-Dolay dans le Morbihan. 

Cette Église est la résurgence de la vénérable Église Celtique, fondée par saint Joseph d’Arimathie en l’an 37 et saint Aristobule envoyé par l’apôtre Paul. Elle s’est développée dans toutes les Îles britanniques, la Bretagne par l’immigration des tribus bretonnes et le continent européen par ses nombreuses missions irlandaises, avant de perdre progressivement sa souveraineté jusqu’à la fin du douzième siècle ». La venue de Joseph d’Arimathie à Glastonbury et l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’histoire chrétienne sont donc les deux événements majeurs sur lesquels cette Église s’appuie pour revendiquer autant un caractère apostolique qu’une spécificité celtique.

Le fondateur revendiqué par l’Église Orthodoxe Celtique est Jules Ferrette, dominicain qui quitta l’Église catholique pour s’établir à Damas dans une mission presbytérienne irlandaise. En choisissant l’île d’Iona, (île au large de l’Écosse, dont le monastère fut fondé par saint Colomba), comme siège épiscopal, Mgr Ferrette se plaça directement dans la tradition spirituelle de l’Église celtique. Le siège d’Iona qui ne fut jamais un siège épiscopal était, pour l’évêque Ferrette, le symbole d’une orthodoxie occidentale d’origine apostolique  jamais mêlée aux divisions de l’Église.

Au cœur de ce renouveau initié par Jules Ferrette, on trouve une distinction entre caractère et filiation apostolique. Si l’Église Orthodoxe Celtique légitime son caractère apostolique par la venue de Joseph d’Arimathie en Angleterre, elle reconnaît pourtant que la filiation directe s’est interrompue avec la perte d’autonomie des Églises celtiques et leur soumission à Rome. C’est pourquoi la filiation avec le Patriarcat syrien d’Antioche fut utilisée pour renouer avec un siège apostolique autre que Rome, tout en gardant son indépendance. L’appropriation de cette lignée a permis à l’Église Orthodoxe Celtique d’acquérir une double profondeur historique : lier l’héritage occidental, en particulier celtique, qu’évoque la légende de Joseph d’Arimathie, avec la tradition orthodoxe et orientale représentée par le Patriarcat d’Antioche.


Tugdual, la spiritualité du monachisme celtique

 

C’est en janvier 1955, qu’un ermite vint s'installer dans cet humble bocage breton. L'endroit, bordé d’un grand bois, était divisé en petits lopins de terre, séparés par des haies naturelles. C’était un marécage, couvert par les eaux l'hiver. Un menhir rappelait qu'autrefois les hommes considéraient ce lieu comme sacré. Le pays était pauvre, les gens simples et profondément croyants. L'ermite s'appelait Jean-Pierre Danyel. D’abord prêtre de paroisse, il sentit l’appel de la vie érémitique et quitta tout. Il voulait, en cette terre de Basse-Bretagne, consacrer sa vie à la contemplation de Dieu. C’était un homme rude et bon qui rayonnait la joie de l'Esprit-Saint.

Les premiers temps, il vécut très pauvrement dans une hutte de branchages. Puis, il bâtit une petite chapelle en bois et dédia son ermitage à la Sainte Présence suite à une vision qu’il eut de la présence divine qui remplissait son ermitage. Avec le temps, il fit construire deux cellules en dur, ainsi qu’une petite chapelle attenante qui ne fut jamais achevée. Il vivait de la providence divine ; les habitants alentour lui apportaient de quoi se nourrir. Peu à peu, attirés par ses charismes et sa sainteté, des fidèles s'assemblèrent autour de lui et constituèrent bientôt une communauté chrétienne.

Dans la prière et le jeûne, notre saint homme, inspiré par l’Esprit Saint, restaura la spiritualité du monachisme celtique. Il écrivit dans vingt-cinq cahiers de nombreux commentaires de l'Écriture. Il y consigna l'essentiel de sa pensée et de sa spiritualité. Ils sont, avec les témoignages de ceux qui l'ont connu, les sources de son héritage spirituel. Avec lui revécurent la tradition et l’esprit de l’antique Église Celtique. Son troupeau augmenta et bientôt, il fut consacré évêque et prit le nom de Tugdual, l'un des Sept Saints protecteurs de Bretagne. Tour à tour poète, prédicateur de talent, guide spirituel, pasteur, il connaissait aussi la théologie des trois grandes confessions chrétiennes et possédait de réels dons de thaumaturge, notamment, celui de guérison. On venait lui rendre visite, parfois de fort loin, dans l'espoir d'obtenir des grâces. 

Comme de nombreux saints, notre saint ermite avait une personnalité à la fois attachante et déroutante. Il pouvait incarner la rudesse d'un prophète des temps bibliques ou la tendre compassion du Christ devant la misère humaine. Sa santé était fragile et il savait que sa vie serait brève. Il n'en mena pas moins une vie ascétique où le jeûne et la prière côtoyaient la pauvreté dans l’humidité récurrente du lieu. Cependant, il souffrit davantage des hommes, car à cette époque, l'œcuménisme n'avait pas encore pénétré le bocage breton. Son œuvre missionnaire connut de grandes adversités, mais il put établir une Église locale et poser les fondations de la grande tradition de l'Église Orthodoxe Celtique.

Il mourut en 1968 à l’âge de 51 ans. L'ermitage resta alors abandonné pendant neuf ans. Il laissait un clergé et un petit troupeau dispersé, mais Dieu veillait sur l'avenir de la fondation. Avant de rendre son âme à Dieu, le saint homme reçu la révélation que son œuvre ne serait pas perdue. Il prédit que dix ans après sa mort, des moines s’établiraient dans son ermitage. En effet, le 4 octobre 1977, trois moines vinrent le jour de la fête de saint François d'Assise. Pourquoi saint François ? Parce qu'il incarne parfaitement l'esprit et la tradition des grands moines missionnaires de l'Église Celtique. La prédiction de saint Tugdual se réalisait. Un monastère reprenait sa mission commencée vingt-deux ans plus tôt.

Les débuts furent vraiment dignes de la pauvreté de saint François. L'ermitage était délabré et le premier hiver fut particulièrement froid et pluvieux. Ce fut une bonne école qui reste d'ailleurs la référence à l'esprit du monastère. Des frères vinrent rejoindre les trois premiers moines et plusieurs familles s'installèrent près de là pour relever la communauté chrétienne orthodoxe celtique. L'antique petite chapelle de l'ermite était vétuste et ne suffisait plus pour contenir les fidèles de la jeune communauté. Les moines construisirent alors une église en bois, dédiée à Notre-Dame-du-Signe, qui fut consacrée en 1984.

Aujourd'hui, le monastère est une terre d'accueil et de paix ouverte à tous les hommes dans le respect de la tradition et des convictions de chacun. De nombreuses personnes y viennent pour une simple visite, un conseil spirituel ou font une retraite de quelques jours. Une maison d'accueil, « l'Oasis Saint-Joseph » permet d’accueillir des retraitants. La Liturgie Eucharistique est célébrée quotidiennement ainsi que les offices monastiques. Des conférences et enseignements sont donnés régulièrement. Le clergé et les fidèles entretiennent avec les autres Églises des liens fraternels. 

Profondément engagés dans la préservation de l’environnement, les moines ont planté plus de 4000 mille arbres sur les terres du monastère, ainsi que des haies et un verger avec divers arbres fruitiers.

  Goulc’hen Danio de Rosquelfen.
 

Source :

Site Église Orthodoxe Celtique
Adresse : Monastère Sainte-Présence 
Le Bois-Juhel - 56130 Saint-Dolay (Bretagne).


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