En Amérique du Sud, nous voyons ressurgir les peuples dont les civilisations avaient été détruites par les conquistadors, reprendre, ici et là, le pouvoir qui leur avait été confisqué. En Amérique du Nord, les « chicanos » et les « amérindiens » s'emparent de pans entiers de l'économie et des centres de décisions jusqu'à imposer l'espagnol comme langue officielle dans plusieurs états. Les Celtes qui avaient vu leur expansion atteindre pratiquement la totalité de l'Europe occidentale jusqu'à disparaitre, en tant que civilisation continentale, voient ses peuples retrouver peu à peu leur autonomie (Irlandais, Bretons, Ecossais, Gallois...). L'Empire Romain s'écroula devant les Barbares venus du Nord de l'Europe (le terme de Barbare n'a pas, pour moi, le sens négatif qu'on lui donne aujourd'hui) et la culture latine se dilua progressivement jusqu'à renaitre aujourd'hui au travers des langues et des peuples qui sont issus d'elle (Italien, Espagnol, Catalan, Provençal, Langues d'oc, Nissart). Les Inuits renaissent de leurs cendres et ont retrouvé une partie du territoire de leurs ancêtres. Les peuples Scandinaves retissent entre eux des liens très forts. Les Kanaks abandonnent la culture étrangère qu’on leur avait imposée pour retrouver la leur avec leur mode de vie, leurs coutumes, leurs structures sociales. Et il en va ainsi de par le monde.
En fait, il y a un lien évident entre tous ces peuples et leur histoire qui leur a permis de perpétuer une culture et une structure mentale jusqu’à nos jours : il s’agit de la mémoire collective des peuples, mémoire inscrite au plus profond de chacun d’entre eux, cette mémoire que l’Histoire ne peut gommer. C’est le recours à leur plus lointain passé qui a permis la persistance du continuum culturel et social. C’est en plongeant au cœur de leurs mythes fondateurs et de leurs légendes spécifiques que ces peuples ont vu leur indestructibilité devenir une réalité. Nous entrons dans le domaine de l’ésotérique quand nous abordons ce sujet. Mais il s’agit bien pourtant de l’esprit des ancêtres, esprit qui se réincarne dans la nature pour les uns, ces esprits avec lesquels le « Chamane » est en relation permanente pour le bien de la tribu, de la communauté, du clan. Pour d’autres peuples, il s’agit de retrouver l’esprit des forêts et du petit peuple qui l’habite. Parfois ce sont les pierres qui ont une mémoire et qui parlent. Du Serpent à plume au grand Hellequin, de la fée Mélusine à l’enchanteur Merlin, tous les peuples enracinés ont leurs référents culturels qui plongent dans la mythologie païenne des temps les plus anciens. Ce qui est remarquable entre toutes ces cultures c’est leur source commune qui n’est autre que l’astre solaire. D’un continent à l’autre, les constructions monumentales édifiées par ces civilisations en font foi (Stonehenge, Chichenitza, Machu Pichu, ) comme les fêtes rituelles traditionnelles basées sur le cycle solaire ( Solstice d’hiver, Equinoxe de printemps, Solstice d’été, Equinoxe d’automne) : nous avons d’ailleurs conservé ces référents dans nos fêtes actuelles bien qu’elles eussent été christianisées (en fait, une des religions monothéiste, le christianisme, issu du Moyen-Orient comme les deux autres religions du Livre, a voulu se répandre en Europe et a du, de ce fait, intégrer toutes les composantes de la culture multimillénaire européenne préexistante pour aboutir au Catholicisme qui, lui, est, en fait, un syncrétisme entre Christianisme et Paganisme, rompant ainsi d’avec le christianisme originel). Il est tout à fait remarquable de voir intégrer le culte Marial avec la figure essentielle de la Vierge Marie, qui n‘est, en fait, que la transposition de la Déesse Mère, celle qui fut à l’origine « Gé » (ou Gaïa). Nous faisons une erreur fondamentale, de nos jours, en nommant « traditionalistes » les tenants du Catholicisme pré-concilaire (ceux qui veulent la messe en latin et tous les rituels attachés à l’église depuis bien avant le Moyen-âge), car, c’est bien le Concile Vatican II qui avec sa réforme s’est engagé vers un retour au christianisme primitif (vers la tradition), le christianisme des premiers temps, essentiellement d’essence juive, celui des intégristes de la nouvelle église d’alors qui n’étaient pas encore intégrés à l’Empire Romain et combattaient celui-ci. On peut, en effet, dire qu’en faisant du christianisme une religion d’état, Rome a subverti celui-ci en le transformant en Catholicisme, religion devenue européenne (dont le centre s’est d’ailleurs déplacé de Jérusalem vers Rome). Ceci dit, à travers toute l’Europe, l’âme des peuples, sous un verni superficiel chrétien, restait profondément d’essence païenne. Noël : Solstice d’hiver, Saint Jean : Solstice d’été, Toussaint : Samain, etc. Le Sapin de Noël : l’arbre de vie (Ygdrasil) qui a son pendant au mois de Mai, avec l’Arbre de mai. Tous les symboles solaires que l’on retrouve lors de toutes les fêtes christianisées : avez-vous remarqué l’auréole de l’enfant Jésus, l’enfant-roi, le soleil renaissant au solstice d’hiver (naissance d’un nouvel enfant = naissance d’un nouveau soleil). A la fête de Rois, les galettes et les couronnes (dans les régions méditerranéennes) ont la forme du disque solaire. De la même façon, les crêpes de la Chandeleur symbolisent ce disque solaire. Nous retrouvons ce symbole solaire dans le Triskell breton et dans la Croix Basque. Que dire des runes que nous retrouvons ici et là : la rune de vie sur l’étole des prêtres, la rune d’éternité que l’on retrouve sur toutes les ambulances (et aussi sur la « Capelina », le chapeau traditionnel de la tenue des Niçoises). Nous trouvons, dans deux « régions » enracinées de l’hexagone (et occupées par l’état français), (Duché de Bretagne et Comté de Nice) des signes forts de cette persistance païenne dans leurs cultures : le mythe arthurien, en Bretagne, est aussi le mythe de l’éternel retour, rythmé par le cycle des saisons (le remarquable film de John Boorman, « Excalibur » fait ressortir cela à merveille), la présence permanente de l’esprit du Mont Bego dans le Pays Niçois (le Mont sacré du Haut Pays avec l’esprit du Dieu Taureau et de la Terre Mère), dans cette région qui a vu les plus anciennes implantations humaines en Europe.
Ainsi, en puisant dans leur plus lointain passé, les Peuples qui furent conquis, exterminés, occupés, assimilés, niés dans leur essence même, ont pu garder au fond d’eux-mêmes ce qui est leur âme profonde et qui vient de la nuit des temps, ce que l’occupant, l’envahisseur, le « colonisateur » ne pouvait leur arracher et qui maintenait cette petite flamme précieuse qui ne s’est jamais éteinte et qui aujourd’hui permettra de rallumer le grand feu de joie de la renaissance des peuples d’Europe et d'ailleurs.
Robert Pagan