LE PIOBAIREACHD (PIBROC’H)


Rédigé le Lundi 29 Avril 2024 à 11:47 | Lu 10 commentaire(s)


IN WAR RAOK ! - N° 43 - août 2015


Musique à la fois incantatoire et envoûtante, le piobaireachd ou Ceol Mor (1), est la musique originelle de la grande cornemuse écossaise, le Great Highland Bagpipe. 

Expression de la sensibilité gaélique et de l'ancienne société clanique, elle est souvent appelée la « musique classique » de la cornemuse écossaise. A l'image de la Gwerz bretonne, le piobaireachd raconte une histoire. Mais celui-ci, exempt de paroles, se nourrit  de drame et de bravoure guerrière, de mythes et de Héros. Il nous livre son héritage martial venu des Highlands du 17ème siècle, dans une musique élitiste et codifiée, en pleine guerres claniques et rebellions jacobites.


Historique: entre mythe et nationalisme

Faire un bref historique du Piobaireachd est une tâche ardue tant son origine est incertaine et teintée de mythes et de légendes, quelque peu entretenues par le nationalisme écossais du 19ème siècle ! La cornemuse écossaise existe dans sa forme actuelle, depuis le milieu du 16ème siècle (2). A cette époque et jusqu'à la fin du 18ème siècle, elle est exclusivement un instrument soliste, élitiste, et réservée à la grande musique de piobaireachd. 

(Les marches, les danses, les mélodies, formant la musique dite légère (Ceol Beag) que nous connaissons bien, étaient alors jouées sur les violons (fiddle) et réservées aux moments festifs. Quant au Pipe band (Pipes and drums), ils ne furent crées qu'en 1848 au sein de l'armée britannique).

Avant l'apparition de la cornemuse, en plus du chant, il est attesté que l'instrument privilégié fût la harpe. Instrument aristocratique de la société clanique, elle transmit l'héritage bardique de la culture gaélique du haut moyen âge. Il est dit qu'on peut retrouver certaines sonorités de la harpe dans les mouvements et les ornementations de la cornemuse écossaise et notamment dans les Piobaireachd. L'origine du piobaireachd( à la cornemuse), est attribuée à la mythique famille Mac Crimmon, du clan Mac Leod de Dunvegan sur l'île de Skye au 16ème siècle. 

Les Mac Crimmon étaient sonneurs mais aussi compositeurs et professeurs, on y venait apprendre l'art du Pibroc'h. Cette musique était transmise d'abord oralement (3), de maitre à élève, sur une durée de 7ans, expliquant la quasi sacralité des morceaux et le rang du sonneur dans l'aristocratie clanique. 

La plupart des morceaux que nous connaissons aujourd'hui furent écrits durant le 16ème et le milieu du 18ème siècle constituant ainsi l'âge d'or de cette musique. En 1746, les derniers rebelles jacobites furent définitivement vaincus par les régiments britanniques à Culloden. La cornemuse, l' instrument guerrier galvanisant les troupes sur les champs de bataille, ainsi que toutes les références à la société clanique des Highlands, furent interdits (disarming act 1746-1782). Les piobaireachd, essentiellement transmis oralement risquaient à terme de disparaître, les assauts de l'impérialisme britannique entamant la lente déliquescence de l'ancienne société auquel le piobaireachd était intimement lié. 

C'est vers le début du 19ème siècle, dans une dynamique nationaliste, que les piobaireachd connurent un regain d'intérêt. Dans un esprit de restauration de ces chefs d'oeuvres nationaux en péril, d’imminents sonneurs (comme  les Camerons, John Mac Dougall, John Mac Donald et Callum Piobaire) tant virtuoses que pédagogues, devinrent les nouveaux grands prêtres de cet art ancestral. Ces morceaux furent collectés,  répertoriés, et transcrits sur partitions. En 1903 fût fondé la Pìobaireachd Society, dont le but, encore aujourd'hui, est de promouvoir cette musique. Il faut noter également qu'au cours des deux derniers conflits mondiaux, la cornemuse reprit sa fonction guerrière et accompagna les régiments écossais sur les champs de bataille. Bill Millin est un de ces sonneurs devenu légendaire, qui débarqua avec sa cornemuse sur Sword Beach le 6 juin 1944.


Précision, rigueur et thématique guerrière.

Les piobaireachd avaient des fonctions sociales bien précises et régissaient les grands évènements du clan. Ils se faisaient l'écho des grandes préoccupations de l'époque, à savoir la guerre, le culte du chef et du héros et le culte des morts. Ces thèmes étant intimement liés à la culture et à l'imaginaire celtique. Chaque piobaireachd en appelait aux larmes, aux armes, à la vengeance, aux réjouissances, aux remords. Chaque piobaireachd se veut ainsi le portrait de quelque chose, d'un évènement, d'un personnage, d'un sentiment. 

« Ecouter un piobaireachd ou en étudier l'historique équivaut à consulter une carte de géographie des Highlands doublée d'un atlas historique. (…) Le piobaireachd se fait tantôt martial, tantôt panégyriste, tantôt élégiaque. Il peut faire pleurer comme il peut donner envie de se battre ou de tuer».

Musicalement, un piobaireachd est construit sur un schéma qui obéit à des règles précises. Une ligne mélodique (l'Urlar/ground en anglais) et plusieurs variations de celle-ci, devenant de plus en plus complexes, mais tout en gardant la mélodie initiale en filigrane. Cette répétition incessante du même thème de base, quasi hypnotique, est agrémentée de variations et d'ornements de plus en plus chargés pour revenir finalement, sur le thème initial, pur, tel un entrelac celtique qui ne s'achève jamais. L'ensemble demande une grande précision d'interprétation et une grande dextérité. Une pièce de piobaireachd varie de 6 à 15 minutes voire 20 minutes. Les bourdons de la cornemuse parfaitement accordés, au son continu,  accentuent cet effet incantatoire pouvant plonger l'auditeur dans une quasi méditation. 

On classe les piobaireachd en 3 catégories : 
Les gatherings, qui avaient pour mission de rassembler les hommes d'un même clan pour aller en découdre avec l'adversaire.  On y trouve également des  « Marches/caismeachd » qui entretenaient l'humeur guerrière des combattants se rendant sur le champ de bataille, des « Warnings », qui avertissaient les guerriers d'un danger imminent et les « Battle tunes/blar » commémorant les batailles livrées ou des faits d'armes importants. Ils se caractérisent par des lignes mélodiques relativement faciles à mémoriser, courtes, probablement héritées d'anciens cris de guerre, répétés avec insistance. 

Bel exemple: « Pipe Major William Livingstone, MacDougall's Gathering » sur youtube. 
Les salutes, glorifiant le chef, le héros. Ils se composaient en général pour des occasions de réjouissances comme la naissance du fils du chef, une passation de pouvoir, un mariage, une réconciliation entre clans, un hommage à un grand chef de guerre etc ... Les laments, joués de façon très lente et solennelle. Dans des circonstances douloureuses et tragiques, les pleureuses et autres spécialistes entretenaient pendant des jours entiers toute une atmosphère de deuil, ou les keening-songs se faisaient entendre et où l’on interprétait des mélodies mortuaires sur la grande cornemuse. Outre les pièces composées par « obligation » lors de la mort d'un chef ou d'un aristocrate, il y a des piobaireachd composés pour la mort de personnes dont l'amour dépassait le rang social, comme des amis intimes ou des membres de la famille, et dont l'émotion et l'intensité dramatique vous hante par des mélodies tendues et bouleversantes. 

Ecoutez « Lament for the childrens »... « 2014 Robert Watt Lament for the Children Pibroc'h Fil Lorient » sur Youtube.


Ecouter, s’informer… appécier.

Le piobaireachd est une musique difficile à appréhender pour le néophyte. Mais tous ceux qui aiment cet instrument et ses sonorités uniques, ne peuvent rester insensibles à ces pièces héritées des siècles belliqueux de la société clanique écossaise. Ce formidable répertoire, quintessence du Great Highland bagpipe s'avère être un bijou du patrimoine écossais, et plus largement de la sensibilité celtique. Actuellement, le répertoire comprend plus de 250 œuvres, datant essentiellement du 17ème et 18ème siècles. Interprétés par l'élite des sonneurs de cornemuse, les concours et prestations sont accompagnés de précis historiques et d'anecdotes très intéressantes sur la société clanique de cette époque. 

En Bretagne, n'hésitez pas à venir écouter les concurrents du concours Pibroc'h du Festival Interceltique de Lorient se déroulant le premier Lundi du Festival. Venus des 4 coins de la Celtie, ces concurrents prestigieux vous feront partager leur savoir et leurs sons exceptionnels. Ne pas oublier non plus le concours Pibroc'h en plein air de Cancale (« Pibroch' en bord de mer » en Septembre) regroupant les meilleurs solistes de Bretagne dans un décor superbe. Il y a également dans le même principe, en Juillet, Pibroc'h en Ria d'Etel ». 

L'ABSC (Association Bretonne des Solistes de Cornemuses) participe activement à la promotion du piobaireachd en Bretagne tout comme la Piobaireachd Society en Ecosse. 

Enfin, sur Youtube, vous pouvez écouter les enregistrements des concours de Ceol Mor en Ecosse, en privilégiant le  Glenfiddich championship ou le trophée de Lorient. Evidement, à écouter aussi sur la plupart des CD des meilleurs solistes de cornemuse du moment. Pour vous familiariser avec l'instrument grâce à des sonneurs d'excellence, écoutez « Pipe Line » sur BBC Scotland. Une émission hebdomadaire à réécouter en différé sur leur site.


Pour conclure…

La Cornemuse est arrivée en Bretagne il y a un petit peu plus d'un siècle et tout comme l'Irlande, elle a su faire sien un instrument qui,  à l'origine,  lui était (relativement) étranger. Aujourd'hui, la Bretagne compte des sonneurs de cornemuse de haut niveau, tenant souvent la dragée haute à l'élite écossaise pendant de prestigieux championnats. Le développement des concours,  la promotion et l'enseignement du pibroch en Bretagne, sont les témoins de l'engouement pour la grande cornemuse des Highlands dans ce qu'elle fait de plus complexe et élitiste. Hier, instrument guerrier « endémique » des montagnes écossaises, elle est  devenue, au fil du temps, l'icône d'un véritable panceltisme. 

 

J. Le Bouter.


Sources :

Musique classique de la grande cornemuse des Highlands. Louis Marie Mondeguer. APPB. 1992. (1)Phìob mhòr en gaélique signifie « Grande cornemuse ». Pìobaire: Sonneur de cornemuse. Piobaireachd : jouer de la cornemuse, « act of piping ». Le mot correct pour ce genre de musique est ceòl mòr. (Grande musique) par opposition à ceòl beag. (Petite musique, musique légère). On utilise surtout le mot gaélique Piobaireachd et pour des raisons de facilité de prononciation le mot Pibroch (anglicisé). Pibroc'h est la version bretonne. (2) La cornemuse apparait vraisemblablement vers le 14ème siècle en Ecosse, dans son principe général. D'abord avec un bourdon, puis deux. L'instrument que nous connaissons aujourd'hui, avec ses 3 bourdons, date du 16ème siècle. Le son, la gamme et la puissance (85-90 db) du great Highland bagpipe reste unique malgré l'existence d'une multitude de cornemuses en Europe.  (3) Les pièces de piobaireachd  se transmettaient de bouche à oreille en « parole chantée », à savoir le Canntaireachd, fabuleux intermédiaire entre le langage humain et celui de la cornemuse. Aujourd'hui, les sonneurs utilisent essentiellement les partitions et les enregistrements antérieurs.


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