LE POLITIQUEMENT CORRECT SERAIT-IL DEVENU UNE CROYANCE UNIVERSELLE


Rédigé le Lundi 29 Avril 2024 à 11:31 | Lu 7 commentaire(s)


IN WAR RAOK ! - N° 43 - Août 2015


Notre ami et collaborateur Tomislav Sunic, diplomate croate, écrivain et ancien professeur de sciences politiques aux Etats-Unis a été fortement impressionné par le fait que la liberté d’expression se trouve paradoxalement plus grande dans les pays anciennement sous domination soviétique qu’à l’Ouest du continent. Le texte qui suit met l’accent sur une des données généralement sous-estimée du conformisme régnant, à côté de l’héritage communiste et de la mentalité de « surveillance » héritée des riches heures du jacobinisme. 
 

Par « politiquement correct » on entend l’euphémisme actuellement le plus passe-partout derrière lequel se cachent la censure et l’autocensure intellectuelles. Si le vocable lui-même n’émerge que dans l’Amérique des années 1980, les racines moralisatrices de ce phénomène, à la fois linguistique et politique, sont à situer dans la Nouvelle Angleterre puritaine du XVIIème siècle. Cette expression polysémique constitue donc la version moderne du langage puritain, avec son enrobage vétérotestamentaire. Bien qu’elle ne figure pas dans le langage juridique des pays occidentaux, sa portée réelle dans le monde politique et médiatique actuel est considérable. De prime abord, l’étymologie des termes qui la forment ne suggère nullement la menace d’une répression judicaire ou d’ennuis académiques. L’expression est plutôt censée porter sur le respect de certains lieux communs postmodernes tels que le multiculturalisme ou une certaine historiographie, considérés comme impératifs dans la communication intellectuelle d’aujourd’hui. En règle générale, et dans la langue française, prononcer l’expression “politiquement correct” déclenche souvent le processus d’association cognitive et fait penser aux expressions telles que “la police de la pensée,” “la langue de bois” et “la pensée unique”. Or si ces dernières notions ont ailleurs qu’en France, en Europe comme en Amérique, des équivalents, ceux-ci n’y possèdent pas sur le plan lexical la même porte émotive. Ainsi par exemple, lorsque les Allemands veulent désigner le langage communiste, ils parlent de “Betonsprache” (“langue de béton”), mais la connotation censoriale de la locution française “langue de bois” n’y est pas rendue. Quant à la “pensée unique,” elle reste sans équivalant hors du français, étant intraduisible en anglais ou en allemand ; seul le vocable slave “jednoumlje” – terme en vogue chez les journalistes et écrivains russes, croates ou chèques – possède la même signification. 


La nouvelle religion du politiquement correct est peu à peu devenue obligatoire dans toute l’Union européenne

 

En comparaison de l’Europe, les Etats-Unis, bien qu’étant fort sécularisés, restent néanmoins très marqués par de « grands récits » moralistes issus de la Bible ; aucun autre pays sur terre n’a connu un tel degré d’hyper moralisme parabiblique, dans lequel Arnold Gehlen voit « une nouvelle religion humanitaire ». Cependant après la deuxième guerre mondiale, le langage puritain a subi une mutation profonde au contact du langage marxiste en usage en Europe, véhiculé par les intellectuels de l’Ecole de Francfort, ou inspirés par eux, réfugiés aux Etats-Unis et plus tard installés dans les grandes écoles et universités occidentales. Ce sont eux qui après la guerre ont commencé à agir dans les médias et dans l’éducation en Europe, et qui ont joué un rôle décisif dans l’établissement de la pensée unique. C’est donc de la conjonction entre l’hyper moralisme américain et les idées freudo-marxistes issues de ce milieu qu’est né le phénomène actuel du politiquement correct.

On sait que les Etats-Unis n’ont jamais eu comme seule raison la conquête militaire, mais ont cultivé le désir d’apporter aux mal-pensants, qu’ils fussent indiens, nazis, communistes, et aujourd’hui islamistes, l’heureux message du démocratisme à la mode américaine, même avec l’accompagnement du bombardement massif des populations civiles. Cet objectif s’est largement réalisé vers la fin de la deuxième guerre mondiale, quand l’Amérique, comme principale grande puissance, s’installa dans son rôle de rééducatrice de la vieille Europe. Et dans les années ultérieures, le lexique américain, dans sa version soft et libéralo-puritaine, jouera même un rôle beaucoup plus fort par le biais des médias occidentaux que la langue de bois utilisée par les communistes est-européens et leurs sympathisants. Au vingtième siècle cependant, l’héritage calviniste a perdu son contenu théologique pour se transformer en un moralisme pur et dur prônant l’évangile libéral des droits de l’homme et le multiculturalisme universel. Dès la fin des hostilités, un grand nombre d’agents engagés par le gouvernement du président Harry Truman furent donc envoyés en Europe afin de rectifier les esprits, et notamment les tendances autoritaires supposées inhérentes au modèle familial européen. Parmi ces pédagogues figuraient un certain nombre d’intellectuels américains issus de la WASP et imprégnés d’esprit prédicateur, mais aussi des éléments de tendance marxiste dont les activités s’inscrivaient dans le sillage de l’Ecole de Francfort. Pour les uns et les autres, guérir les Allemands, et par extension tous les Européens, de leurs maux totalitaires fut le but principal. Tous se croyaient choisis par la providence divine – ou le déterminisme historique marxiste – pour apporter la bonne nouvelle démocratique à une Europe considérée comme une région à demi-sauvage semblable au Wilderness de l’Ouest américain du passé. Le rôle le plus important fut néanmoins joué par l’Ecole de Francfort, dont les deux chefs de file, Theodor Adorno et Max Horkheimer, avaient déjà jeté les bases d’une nouvelle notion de la décence politique. Dans un ouvrage important qu’il dirigea, Adorno donnait la typologie des différents caractères autoritaires, et introduisait les nouveaux concepts du langage politique. Il s’attaquait surtout aux faux démocrates et « pseudo conservateurs » et dénonçait leur tendance à cacher leur antisémitisme derrière les paroles démocratiques. D’après les rééducateurs américains, « la petite bourgeoisie allemande avait toujours montré son caractère sadomasochiste, marqué par la vénération de l’homme fort, la haine contre le faible, la mesquinerie, une parcimonie frisant l’avarice (dans les sentiments aussi bien que dans les affaires d’argent) ». Dans les décennies qui suivirent, le seul fait d’exprimer un certain scepticisme envers la démocratie parlementaire pourra être assimilé au néonazisme et faire perdre ainsi le droit à la liberté de parole.

Lorsque le gouvernement militaire américain mit en œuvre la dénazification, il employa une méthode policière de ce genre dans le domaine des lettres et de l’éducation allemande. Mais cette démarche de la part de ses nouveaux pédagogues n’a fait que contribuer à la montée rapide de l’hégémonie culturelle de la gauche marxiste en Europe. Des milliers de livres furent écartés des bibliothèques allemandes ; des milliers d’objets d’art jugés dangereux, s’ils n’avaient pas été détruits au préalable au cours des bombardements alliés, furent envoyés aux Etats-Unis et en Union soviétique. Les principes démocratiques de la liberté de parole ne furent guère appliqués aux Allemands puisqu’ils étaient en somme stigmatisés comme ennemis de classe de la démocratie. Particulièrement dur fut le traitement réservé aux professeurs et aux académiciens. Puisque l’Allemagne national-socialiste avait joui du soutien (bien que souvent momentané) de ces derniers, les autorités américaines de rééducation à peine installées se mirent à sonder les auteurs, les enseignants, les journalistes et les cinéastes afin de connaître leurs orientations politiques. Elles étaient persuadées que les universités et autres lieux de hautes études pourraient toujours se transformer en centres de révoltes. Pour elles, la principale tare des universités pendant le IIIème Reich avait été une spécialisation excessive, creusant un gouffre entre les étudiants comme élite, et le reste de la société allemande. L’éducation universitaire aurait donc transmis la compétence technique tout en négligeant la responsabilité sociale de l’élite vis-à-vis de la société. Les autorités américaines firent alors remplir aux intellectuels allemands des questionnaires restés fameux, qui consistaient en des feuilles de papiers contenant plus de cent demandes visant tous les aspects de la vie privée et sondant les tendances autoritaires des suspects. Les questions contenaient souvent des erreurs et leur message ultra moraliste était souvent difficile à comprendre pour des Allemands. Peu à peu les mots « nazisme » et « fascisme », subissant un glissement sémantique, se sont métamorphosés en simples synonymes du mal et ont été utilisés à tort et à travers. La « reductio ad hitlerum » est alors devenue un paradigme des sciences sociales et de l’éducation des masses. Tout intellectuel osant s’écarter du conformisme en quelque domaine que ce fût risquait de voir ses chances de promotion étouffées. C’est donc dans ces conditions que les procédures de l’engineering social et l’apprentissage de l’autocensure sont peu à peu devenues la règle générale dans l’intelligentsia européenne. Bien que le fascisme, au début du troisième millénaire, ne représente plus aucune menace pour les démocraties occidentales, tout examen critique, aussi modeste soit-il, de la vulgate égalitaire, du multiculturalisme et de l’historiographie dominante risque d’être pointé comme « fasciste » ou « xénophobe ». Plus que jamais la diabolisation de l’adversaire intellectuel est la pratique courante du monde des lettres et des médias.

L’Allemagne forme certes un cas à part, dans la mesure où sa perception des Etats-Unis dépend toujours de celle que les Allemands sont obligés d’avoir d’eux-mêmes, comme des enfants auto-flagellants toujours à l’écoute de leurs maîtres d’outre-Atlantique. Jour après jour l’Allemagne doit faire la preuve au monde entier qu’elle accomplit sa tâche démocratique mieux que son précepteur américain. Elle est tenue d’être le disciple servile du maître, étant donné que la « transformation de l’esprit allemand (fut) la tâche principale du régime militaire ». Voilà pourquoi, si l’on veut étudier la généalogie du politiquement correct tel que nous le connaissons, on ne peut pas éviter d’étudier le cas de l’Allemagne traumatisée. Et cela d’autant plus qu’en raison de son passé qui ne passe pas, l’Allemagne applique rigoureusement ses lois contre les intellectuels mal-pensants. En outre, l’Allemagne exige de ses fonctionnaires, conformément à l’article 33, paragraphe 5 de sa Loi fondamentale, l’obéissance à la constitution, et non leur loyauté envers le peuple dont ils sont issus. Quant aux services de défense de la Constitution (Verfassungschutz), dont la tâche est la surveillance du respect de la Loi fondamentale, ils incluent dans leur mission de veiller à la pureté du langage politiquement correct : « Les agences pour la protection de la constitution sont au fond des services secrets internes dont le nombre s’élève à dix-sept (une au niveau de la fédération et seize autres pour chaque Land fédéral constitutif) et qui sont qualifiées pour détecter l’ennemi intérieur de l’Etat ». Puisque toutes les formes d’attachement à la nation sont mal vues en Allemagne en raison de leur caractère jugé potentiellement non-démocratique et néonazi, le seul patriotisme permis aux Allemands est le « patriotisme constitutionnel ». La nouvelle religion du politiquement correct est peu à peu devenue obligatoire dans toute l’Union européenne, et elle sous-entend la croyance dans l’Etat de droit et dans la « société ouverte ». Sous couvert de tolérance et de respect de la société civile, on pourrait imaginer qu’un jour un individu soit déclaré hérétique du fait, par exemple, d’exprimer des doutes sur la démocratie parlementaire. De plus, en raison de l’afflux des masses d’immigrés non-européens, la loi constitutionnelle est également sujette à des changements sémantiques. Le constitutionnalisme allemand est devenu « une religion civile » dans laquelle « le multiculturalisme est en train de remplacer le peuple allemand par le pays imaginaire de la Loi fondamentale ». Par le biais de cette nouvelle religion civique l’Allemagne, comme d’autres pays européens, s’est maintenant transformée en une théocratie séculière.


Aux yeux de nouveaux inquisiteurs, l’hérétique intellectuel doit être surveillé

 

Sans cette brève excursion dans le climat du combat intellectuel d’après-guerre il est impossible de comprendre la signification actuelle du politiquement correct. La récente promulgation de la nouvelle législation européenne instituant un « crime de haine » est ainsi appelée à se substituer aux législations nationales pour devenir automatiquement la loi unique de tous les Etats de l’Union européenne. Rétrospectivement, cette loi supranationale pourrait être inspirée du code criminel de la défunte Union soviétique ou de celui l’ex-Yougoslavie communiste. Ainsi, le Code criminel yougoslave de 1974 comportait une disposition, dans son article 133, portant sur « la propagande hostile ». Exprimée en typique langue de bois, une telle abstraction sémantique pouvait s’appliquer à tout dissident – qu’il se soit livré à des actes de violence physique contre l’Etat communiste ou qu’il ait simplement proféré une plaisanterie contre le système. D’après le même code, un citoyen croate, par exemple, se déclarant tel en public au lieu de se dire yougoslave pouvait se voir inculper d’« incitation à la haine interethnique », ou bien comme « personne tenant des propos oustachis », ce qui était passible de quatre ans de prison. Il faudra attendre 1990 pour que cette loi soit abrogée en Croatie.

A l’heure actuelle le Royaume-Uni témoigne du degré le plus élevé de liberté d’expression en Europe, l’Allemagne du plus bas. Le Parlement britannique a rejeté à plusieurs reprises la proposition de loi sur « le crime de haine », suggérée par divers groupes de pression – ce qui n’empêche pas les juges britanniques d’hésiter à prononcer de lourdes peines contre les résidents d’origine non-européenne par crainte d’être accusés eux-mêmes de cultiver un « préjugé racial ». Ainsi, indépendamment de l’absence de censure légale en Grande-Bretagne, un certain degré d’autocensure existe déjà. Depuis 1994, l’Allemagne, le Canada et l’Australie ont renforcé leur législation contre les mal-pensants. En Allemagne, un néologisme bizarre (Volkshetze : « incitation aux ressentiments populaires »), relevant de l’article 130 du Code pénal, permet d’incriminer tout intellectuel ou journaliste s’écartant de la vulgate officielle. Vu le caractère général de ces dispositions, il devient facile de mettre n’importe quel journaliste ou écrivain en mauvaise posture, d’autant plus qu’en Allemagne il existe une longue tradition légale tendanciellement liberticide d’après laquelle tout ce qui n’est pas explicitement permis est interdit. Quant à la France, elle comporte un arsenal légal analogue, notamment depuis l’entrée en vigueur de la loi Fabius-Gayssot adoptée le 14 juillet 1990, sur proposition d’un député communiste, mais renforcée à l’initiative du député de droite Pierre Lellouche en décembre 2002. Cette situation se généralise dans l’Union européenne, en comparaison de quoi, paradoxalement, les pays postcommunistes connaissent encore un plus grand degré de liberté d’expression, même si en raison de la pression croissante de Bruxelles et de Washington cela est en train de changer.

En Europe communiste, la censure de la pensée avait un gros avantage. La répression intellectuelle y était tellement vulgaire que sa violente transparence donnait à ses victimes l’aura des martyrs. La fameuse langue de bois utilisée par les communistes débordait d’adjectifs haineux au point que tout citoyen pouvait vite se rendre compte da la nature mensongère du communisme. En outre, comme la Guerre froide, vers la fin des années 1940, avait commencé à envenimer les rapports entre l’Est communiste et l’Ouest capitaliste, les élites occidentales se crurent moralement obligées de venir en aide aux dissidents est-européens, et cela moins en raison de leurs vues anticommunistes que pour prouver que le système libéral était plus tolérant que le communisme. Nul n’en sut profiter mieux que les architectes libéraux du langage politiquement correct. En cachant leurs paroles démagogiques derrière les vocables de « démocratie », « tolérance » et « droits de l’homme » ils ont réussi à neutraliser sans aucune trace de sang tout opposant sérieux. Le langage médiatique a été également sujet à des règles hygiéniques imposées par les nouveaux princes de vertus. L’emploi châtré des structures verbales qui se sont propagées à travers toute l’Europe reflète des avatars puritains sécularisés si typiques autrefois des autorités militaires américaines dans l’Allemagne d’après-guerre. De nouveaux signifiants se font incessamment jour pour permettre à la classe dirigeante, ayant peur pour ses sinécures, de cacher ainsi ses propres signifiés privés. A-t-on jamais tant parlé en Amérique et en Europe de tolérance ? A-t-on jamais tant prêché la convivialité raciale et l’égalitarisme de tous bords alors que le système entier déborde de toutes formes de violences souterraines et de haines mutuelles ? L’idéologie antifasciste doit rester un argument de légitimité pour tout l’Occident. Elle présuppose que même s’il n’y a plus aucun danger fasciste, son simulacre doit toujours être maintenu et brandi devant les masses.

Partout en Europe, depuis la fin de la Guerre froide, l’arène sociale doit fonctionner comme un prolongement du marché libre. L’efficacité économique est vue comme critère unique d’interaction sociale. Par conséquent, les individus qui se montrent critiques au sujet des mythes fondateurs du marché libre ou de l’historiographie officielle sont automatiquement perçus comme ennemis du système. Et à l’instar du communisme, la vérité politique en Occident risque d’être davantage établie par le code pénal que par la discussion académique. De plus, aux yeux de nouveaux inquisiteurs, l’hérétique intellectuel doit être surveillé, non seulement sur la base de ce qu’il dit ou écrit, mais sur celle des personnes qu’il rencontre. La « culpabilité par association » entrave gravement toute carrière, et ruine souvent la vie du diplomate ou du politicien. N’importe quelle idée qui vise à examiner d’une manière critique les bases de l’égalitarisme, de la démocratie et du multiculturalisme, devient suspecte. Même les formes les plus douces de conservatisme sont graduellement poussées dans la catégorie « de l’extrémisme de droite ». Et ce qualificatif est assez fort pour fermer la bouche même aux intellectuels qui font partie du système et qui ont eux-mêmes participé dans le passé à la police de la pensée. « Il y a une forme de political correctness typiquement européenne qui consiste à voir des fascistes partout » écrit ainsi Alain Finkielkraut. Le spectre d’un scénario catastrophique doit faire taire toutes les voix divergentes. Si le « fascisme » est décrété légalement comme le mal absolu, toutes les aberrations du libéralisme sont automatiquement regardées comme un moindre mal. Le système libéral moderne de provenance américaine est censé fonctionner à perpétuité, comme une perpetuum mobile.

L’Occident dans son ensemble, et paradoxalement l’Amérique elle-même, sont devenus des victimes de leur culpabilité collective, qui a comme origine non tant le terrorisme intellectuel que l’autocensure individuelle. Les anciens sympathisants communistes et les intellectuels marxistes continuent à exercer l’hégémonie culturelle dans les réseaux de fabrication de l’opinion publique. Certes, ils ont abandonné l’essentiel de la scolastique freudo-marxiste, mais le multiculturalisme et le globalisme servent maintenant d’ersatz à leurs idées d’antan. La seule différence avec la veille est que le système libéralo-américain est beaucoup plus opérationnel puisqu’il ne détruit pas le corps, mais capture l’âme et cela d’une façon beaucoup plus efficace que le communisme. Tandis que le citoyen américain ou européen moyen doit supporter quotidiennement un déluge de slogans sur l’antiracisme et le multiculturalisme, qui ont acquis des proportions quasi-religieuses en Europe, les anciens intellectuels de tendance philo-communiste jadis adonnés au maoïsme, trotskisme, titisme, restent toujours bien ancrés dans les médias, l’éducation et la politique. L’Amérique et l’Europe s’y distinguent à peine. Elles fonctionnent d’une manière symbiotique et mimétique, chacune essayant de montrer à l’autre qu’elle n’accuse aucun retard dans la mise en place de la rhétorique et de la praxis politiquement correctes. Autre ironie de l’histoire : pendant que l’Europe et l’Amérique s’éloignent chronologiquement de l’époque du fascisme et du national-socialisme, leur discours public évolue de plus en plus vers une thématique antifasciste.

Contrairement à la croyance répandue, le politiquement correct, en tant que base idéologique d’une terreur d’Etat, n’est pas seulement une arme aux mains d’une poignée de gangsters, comme nous l’avons vu en ex-Union Soviétique. La peur civile, la paresse intellectuelle créent un climat idéal pour la perte de liberté. Sous l’influence conjuguée du puritanisme américain et du multiculturalisme de tendance postmarxiste européen, le politiquement correct est devenu une croyance universelle. L’apathie sociale croissante et l’autocensure galopante ne nous annoncent pas de nouveaux lendemains qui chantent.

 

TOMISLAV SUNIC



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