LOEIZ HERRIEU : ÉCRIVAIN ET PATRIOTE BRETON.


Rédigé le Jeudi 16 Mai 2024 à 12:58 | Lu 32 commentaire(s)


Loeiz Herrieu fait partie de ces grandes figures bretonnes, écrivain de talent qui maniait une langue châtiée et pure, mais également militant breton, lutteur, polémiste à la plume acérée et défenseur de la langue bretonne. Il aimait préciser « qu’une langue que l’on ne parle pas dans les familles est sur le chemin du cimetière, en dépit de sa littérature et des belles conférences faites en son honneur » (Dihunamb). Egalement homme politique averti, il voulait faire la différence entre « l’esprit et le vêtement », ne pas se laisser amadouer et vouloir donner à la Bretagne un régionalisme fade : « costumes, danses, jeux et chants. Toutes ces choses ne sont que des fleurs que l’on met sur la table au repas, mais ce n’est pas avec des fleurs que l’on satisfait un homme qui a faim ». Dans un autre article de Dihunamb, il écrit parlant des gouvernements français : «Dei tint a-benn de lakat ar Vretoned de ankouehat e mant ur bobl, un istor dehi, ul lennegeh, ur sevenadur, ur spered dihaval distag doh re er Frañs ha lies enep dehe ». Par cet hommage, saluons en Loeiz Herrieu non seulement l’écrivain mais également le militant nationaliste intimement lié à son peuple tant sur le plan social et économique que sur le plan spirituel.


IN WAR RAOK ! - N° 49 - Août 2017

Loeiz Herrieu (Louis Henrio) est né au Cosquer en Caudan (Morbihan) le 26 janvier 1879 dans une famille de cultivateurs modestes. Il fréquente l'école de Kerfrehour puis à l’âge de 12 ans se retrouve pensionnaire chez les frères à Ploemeur et termine ses études primaires comme externe à l'Institution Saint Joseph à Lorient. Très vite il se passionne pour l’écriture et emprunte des livres au clergé de sa paroisse. Il quitte l'école à quinze ans et commence à écrire. De retour à la ferme familiale, il envoie ses articles à la presse agricole notamment à « la Croix du Laboureur et à la Gazette des campagnes ». 

En 1898, il s'engage dans la marine nationale pour 5 ans et prépare le concours de fourrier. Jusqu'à cette période, bien qu'il ne soit pas indifférent à la Bretagne, Loeiz Herrieu est plutôt influencé par la littérature d'idéologie française. C’est en 1899 que se produit le déclic et en 1939 il précisera : « Ma conscience nationale se réveilla pendant mon service militaire à la lecture d'un article de l'Abbé Cadic dans l'Ouest-Eclair sur la langue bretonne et d'une audition de chansons au Théâtre de Brest où je suivais des cours d'administrations de la Marine ». Reçu au concours de fourrier, il revient à Lorient et commence à écrire pour divers journaux. Il devient le premier correspondant de l'Ouest Eclair sur Lorient pour une chronique maritime. C'est à cette époque qu'il rencontre Paul Caillaud qui écrit dans « Le Clocher Breton ». Grâce à ce dernier, Loeiz fréquente le salon des Degoul, c’est-à-dire Renan Saib et Madeleine Desroseaux qui animent la Société de Géographie de Lorient. Renan Saib qui est directeur de la revue « Le Clocher Breton » et un des fondateurs de l'Union Régionaliste Bretonne (l’URB est l’ancêtre du mouvement nationaliste breton) est séduit par ce jeune homme venu du peuple et capable de transmettre au peuple et l'intègre à la rédaction de sa revue. Ensuite il rejoint « le Gorsedd de Bretagne ». Loeiz comprend alors que son avenir est dans la langue de ses ancêtres. Il contacte l'Abbé Le Bayon et l'Abbé Buléon qui ont créé une troupe de théâtre en langue bretonne  « Pautred Padern ». Loeiz fait la connaissance d'André Mellac en 1901et après la publication d’articles en français pour « le Clocher Breton » et en breton pour « La Croix du Morbihan » se développe peu à peu l'idée d'éditer ensemble une revue en langue bretonne. Ainsi naît « Dihunamb » qui signifie  « Réveillons-nous ». Destiné au peuple breton, « Dihunamb » est conçu pour lui, mais les deux amis veulent aussi s'adresser à la bourgeoisie pour les attirer vers le breton, vers la Bretagne. André Mellac en prend la direction et Loeiz se charge des articles. En 1905, sort le premier numéro de la revue imprimée tous les 2 mois (tous les mois à partir de janvier 1906) et à 10 sous l'abonnement. Cette revue va durer jusqu'en 1944. Dès janvier 1906, « Dihunamb » tire à 3000 exemplaires. Les collaborateurs sont nombreux : Jean- Pierre Calloc'h, Job Jaffré, les abbés Heno et Buléon… « Dihunamb » apporte au peuple breton un complément de culture, lui redonne sa fierté, lui prouve qu'être bilingue c'est faire preuve d'ouverture d'esprit et aussi montre aux Bretons leur parenté avec les autres pays celtiques. Loeiz entreprend alors une tournée des paroisses, souvent à l'invitation du clergé qui compte sur ses talents de chanteur pour rassembler les foules. A la sortie de la messe, il chante des chansons en breton et fait de la publicité pour sa revue. Vers 1905 à 1906, il est nommé secrétaire de l'Union Régionaliste Bretonne et commence à animer des cours de breton. Il suscite la création d'autres écoles de breton du dimanche dans les paroisses du Morbihan. Les tournées dominicales se poursuivent, parfois avec André Mellac, parfois avec d'autres sympathisants de la cause qui viennent l'épauler. Il commence à collecter des chansons dans la campagne de la région de Lorient et publie en 1908, en collaboration avec l'abbé Guillerm, « Recueil de mélodies bretonnes recueillies dans la campagne ». 

 

En 1907, il fonde avec André Mellac « le Réveil Breton », journal hebdomadaire qui succède à « la Croix du Morbihan » et qui deviendra « Le Pays Breton ». Toujours en 1907, L. Herrieu et A. Mellac se rendent à L'Eisteddfod gallois et au congrès panceltique d'Edimbourg. Loeiz est aussi un fervent catholique qui, au début du XXème siècle, s’inscrit dans la mouvance silloniste et est élu conseiller municipal de Lanester, seul élu de sa liste face à 20 élus socialistes.  

Le 11 janvier 1910, Loeiza er Meliner et Loeiz Herrieu se marient. Loeiza est née le 9 mars 1887 au moulin du Boderi en Languidic ; elle est la fille de Jean-Louis le Meliner meunier et de Marie Tanio, meunière. Cette même année, ils se rendent à Paris pour enregistrer, chez Pathé, un disque de chants bretons. 

En 1911, Loeiz Herrieu, en collaboration avec Maurice Duhamel, édite le premier volume des « Chansons populaires du pays de Vannes » avec traductions et airs notés. Dans l'introduction de ce livre, Maurice Duhamel écrit ceci : « Ne pouvant noter les chants d'une manière qui le satisfasse, Herrieu opte pour le seul parti qui s'offre à lui : il les apprend, se les chante à lui même, afin de ne point les oublier. Et quand je le rencontre, il a dans la mémoire quelques 200 chansons dont je note le plus grand nombre, à mesure qu'il me les chante de cette voix prenante et nostalgique que connaissent bien les habitués de nos fêtes bretonnes… ». Une scission au sein de l'URB aboutit à la création de la Fédération Régionaliste de Bretagne qui a pour but, l'étude pratique de toutes les questions intéressant la vie intellectuelle, artistique, sociale et économique de la Bretagne avec une attention spéciale à la défense et au développement de la langue bretonne. Loeiz Herrieu en est le secrétaire. Cet engagement dans les structures de l'Emsav lui permet de rencontrer des personnages d'une grande culture : Joseph Loth, Anatole Le Braz, Emile Ernault, Jérome Buléon, et aussi, Francis Even, Bleimor, Le Berre, Emile Masson ... Loeiz reçoit un prix pour « le Breton Usuel ». Pour la première fois, est interprétée à Languidic « Bugulez Kerdoret », une pièce écrite par lui. 

 En 1913, il publie le second volume des « Chansons populaires du pays de Vannes », puis en collaboration avec Y. Le Diberder une traduction bretonne d'un conte irlandais : « Imram Mael Duin ». 

Suite aux visites dans les différentes paroisses, accompagné parfois des amis cités plus haut ou d'autres encore comme Jos Parker, Taldir, Abalor, G. Le Borgne, Joseph Loth, il peut entrer en contact avec de nombreux enseignants et des parents d'élèves, et il crée une école du dimanche dans plusieurs communes: Inzinzac, Languidic, Brandérion, Plouay, Plumergat, Bubry, Guénin, et Lanvaudan. 

Le 1er août 1914, la France décrète la mobilisation générale. Le 3 août, l'Allemagne déclare la guerre à la France et L. Herrieu est mobilisé à 35 ans. Il rejoint la caserne à Lorient : il est affecté au 88ème régiment d'infanterie territorial en qualité de fourrier et le 25 août, il rejoint le camp retranché de Paris avec son régiment. Au cours de ces 5 années, il ne revient jamais en permission. 

André Mellac aidé de Paul Mocaer poursuit la publication de « Dihunamb ». Toutefois en décembre 1914, la revue cesse. Elle reparaît en 1921. Durant la guerre, Loeiz a une correspondance soutenue avec ses amis et surtout avec son épouse : plus de 600 lettres et cartes ont été retrouvées. Il tient également des carnets de notes qui sont de véritables documents historiques. Après la guerre, il écrit son journal de guerre « Kamdro en Ankeu » : le Tournant de la Mort dont certaines pages paraissent dans « Dihunamb ». La première édition complète en 1974 est réalisée par Mériadeg Herrieu ; une seconde édition (texte transcrit par François Louis dans l'orthographe unifiée) paraît en 1994 aux éditions Al Liam. Cette œuvre est traduite en français par Gabriel Le Mer et Frédéric Le Personnic avec une adaptation française de Julien Prigent. 

Le 10 avril 1917, Jean-Pierre Calloc'h est tué dans la Somme, ce qui attriste beaucoup Loeiz. 

Le 5 février 1919 il revient au Cosquer où il rejoint sa femme, ses deux enfants ainsi que son père et sa mère et trouve une partie de sa ferme réquisitionnée par la Marine durant l'été 1918. Une usine de fabrication d'hydravions qu'on projetait d'y construire n'est pas sortie du sol mais les fouilles ont rendu impossible une remise en culture. La guerre porte un coup très rude au mouvement breton, toutefois, en 1921, la revue « Dihunamb » revoit le jour. 

En 1922, il loue la ferme du Cosquer devenue trop petite et toute la famille va s'installer au Guerneùé près d'Hennebont dans une ferme isolée de 25 hectares près des rives du Blavet et implantée sur trois communes : Hennebont, Inzinzac, et Caudan. En 1934, paraît l'édition définitive du « Breton Usuel ». 

L'année 1935 marque le début de la période la plus productive de Loeiz Herrieu, dans le domaine littéraire : cette période s'achèvera en 1944. Dès cette époque, des allemands intéressés par la langue bretonne venaient au Guerneùé pour s'entretenir avec Loeiz. 

En 1936, il crée « Brediah er brehoneg biù » encore appelé « les Trois B », la Confrérie du Breton Vivant : ses membres s'engagent à ne parler que breton entre eux, à l'écrire et à le lire le plus souvent possible. Son ami André Mellac meurt en 1936. La même année, Pierre Mocaer organise une rencontre entre Gallois et Bretons à laquelle participent Loeiz et Loeiza. 

En 1937, un autre ouvrage paraît « Tud Brudet Hor Bro-Ni » ce qui signifie « Gens célèbres de notre pays » ; une compilation d'articles publiés dans « Dihunamb » écrits par Loeiz et les abbés Bourser, Pierre le Goff, Heno, Guilloux et Loeiza. 

 En 1938, est publié le livre : « La littérature bretonne jusqu'au 18ème siècle ». 

Le 17 juin 1938, sort le livre de Loeiza « Ar bont ar velin ». 

Le 3 septembre 1939, la France et l'Angleterre déclarent la guerre à l'Allemagne. Le 18 juin 1940, devant l'arrivée prévisible des allemands, la marine française incendie les citernes à mazout de un million de litres chacune, installées en partie sur la ferme du Cosquer. Dans la nuit, ces cuves explosent et le mazout en feu se répand aux environs, jusqu'aux habitations qui s'enflamment. Dans cette catastrophe, 25 personnes, (chiffre officiel), dont le fermier de Loeiz trouvent la mort. 

Le 8 juillet 1941, à l'issue d'une réunion d'écrivains du KLT et du Vannetais, la presse annonce que l'unification du breton vient d'être réalisée. On aboutit ainsi à la création du « brezoneg peurunvan ». 

En 1942, Loeiz Herrieu publie un recueil de contes intitulé « De hortoz kreinoz ». De janvier à mars 1943, « Dihunamb » cesse de paraître, l'imprimerie de la place Alsace-Lorraine de Lorient ayant été détruite par un bombardement anglo-américain. 

En 1943, paraît une étude plus complète sur la littérature bretonne sous le titre « La littérature bretonne depuis les origines jusqu'au 20ème siècle ». 

Loeiz passe beaucoup de temps à travailler pour le breton. Lorsque la guerre éclate, il est dans son bureau comme dans une tour de granit, séparé de l'histoire et de l'évolution des mentalités. Il est de fait fidèle à ses idéaux mais en ces temps agités, il suffit d'être bretonnant et défenseur de la Bretagne pour être coupable. 

Le 10 août, après une attaque du Guerneùe par des FFI, Loeiz et sa famille sont obligés de s'enfuir et de se réfugier chez des amis. 

Accusé d'appartenir au Parti National Breton, d’écrire dans le journal nationaliste breton « l’Heure Bretonne », Loeiz Herrieu est condamné à 20 ans d'indignité nationale mais il est amnistié le 15 janvier 1952 par l'application de l'article 6 de la loi du 5 janvier 1951. Une des grandes douleurs de Loeiz Herrieu est de voir sa bibliothèque (4000 livres) dispersée et saccagée lors de l'attaque de résistants. Honte à ces fanatiques. Quelques années plus tard, ce sont les descendants de ces défenseurs de la liberté qui demandent que soit débaptisée l’école Diwan de Lorient, école portant le nom de Loeiz Herrieu. 

 En 1949, Loeiz rédige ses souvenirs d'enfance « Glaou ru emesk ludu » ce qui signifie « Braises rouges dans la cendre ». 

Début 1953, il écrit un dernier article pour la revue de Jean Choleau « Le Pays Breton ». Atteint d'une maladie incurable, Loeiz Herrieu décède à Auray le 22 mai 1953, à l'âge de 74 ans. Il s'éteint par une belle soirée du mois de mai comme il l'a écrit dans la dernière poésie de « Dasson ur Galon ».

 

« De gourz kaer er bokedeu,  / « C’est au beau temps des fleurs,
Ardro er goubanùél / A la tombée de la nuit
Pe vé er benal é bleu, / Quand fleurissent les genêts,
É karehen meruél… ». / Que j’aimerais mourir… ».

 

Il repose au cimetière de Saint Caradec-Hennebont.     

Meriadeg de Keranflec’h.


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