La version officielle de l’ « union » de la Bretagne à la France, le prétendu « traité » de 1532, dit de « réunion perpétuelle ».
La plupart des dictatures et tyrannies du monde, lorsqu’elles prétendent annexer un pays qui leur est voisin mais étranger, utilisent la même « ficelle » explicative, grosse comme une corde : il existe toujours des complices pour donner crédit à ces fables, qui ne sont que des âneries : que le pays en cause, a été jadis « vassal », ou « dépendant », ou « subordonné » de l’envahisseur. Lorsque l’annexion du pays conquis est réalisée, presque toujours après des guerres atroces, on dit qu’il a été « réintégré » et qu’il ne fait, donc, que reprendre sa place dans la « patrie » commune. C’est ainsi que la Chine, le Maroc, l’Irak tentent ou ont tenté de faire croire que le Tibet, l’ex-Sahara Espagnol, le Koweit furent jadis, en d’autres temps, réunis sous l’autorité des mêmes souverains, et que la situation actuelle n’est que le rétablissement du cours naturel des choses. Lorsqu’on conquiert ces territoires par la force, ils ne font que rentrer au bercail, comme l’on écrit nos éminents « hystoryens » bretons jusqu’à ces dernières années.
La version officielle de l’histoire bretonne, celle imposée par la France, que tous connaissent, parce qu’elle est la seule disponible dans les écoles et dans les facultés est la suivante :
- En 1491, Anne de Bretagne, Duchesse souveraine, se « fiance » volontairement, prétend-on, à Charles VIII, roi de France. Elle l’épouse, toujours volontairement, apportant en dot la Bretagne à la France. Pendant quatre années, la France a détruit totalement la Bretagne, qui est en ruines ; mais cela n’est enseigné nulle part, les Bretons ignorent totalement ces horreurs.
- Charles VIII meurt en 1498. En janvier 1499, Anne de Bretagne se remarie avec son successeur, monté sur sur le trône de France, le roi Louis XII. A preuve, dit-on, de son attachement à ce pays, qu’elle a épousé aussi, en se mariant avec Charles VIII !
- En 1532, les Bretons, sollicitent « librement » et « humblement », la « Réunion » de leur pays à la France, témoignant de « la bonne amour » entre les deux peuples ; affirmation audacieuse, car ils se battent depuis mille ans, et se détestent mortellement.
- Les générations passant, les deux peuples se mélangent, et se fondent l’un dans l’autre.
- En 1789, la France affirmant avoir « inventé » les droits de l’homme, et « apporté la liberté au monde, les Bretons adhèrent aux idéaux révolutionnaires, librement aussi, d’après la version officielle de notre cher voisin. Depuis lors, la Bretagne et la France, s’aimant d’amour tendre, sont un seul et même peuple, battant à l’unisson d’un même cœur. L’histoire de l’Union franco-bretonne est donc... un roman d’amour ! Ce qu’on a enseigné dans les lycées et collèges : j’ai bu de ce lait infect lors de mes humanités en Bretagne ; à l’époque, je n’ai rien soupçonné, car le mensonge était parfait.
La version historique réelle L’invasion (1487-1491) et l’annexion de la Bretagne (1532).
Cette version des faits est absurde, pire, ridicule ; elle est d’une fausseté absolue. La Bretagne, en réalité, n’a pas été «réunie» à la France ; elle a été envahie, conquise, réduite, détruite, annexée.
Le drame réel de la Bretagne s’est noué à partir de Louis XI (1423-1483) roi de France, ennemi mortel des Bretons. Ce roi, que l’on a appelé « l’universelle araignée», en raison de son aptitude à pousser des tentacules partout, parvient, par des moyens divers, le plus souvent crapuleux, à agrandir son royaume de plus d’un tiers, en même temps qu’il constitue une armée considérable, appuyée par un budget énorme.
L’histoire doit ici être résumée comme suit :
- Pendant mille ans, du 6ème au 14ème siècle, la Bretagne est en conflit quasi permanent avec la France. Des guerres fréquentes opposent les deux pays. Sauf pendant de courtes périodes, essuyant quelques échecs, la Bretagne sort toujours victorieuse de ces guerres. Au neuvième siècle, les Bretons ayant remporté de nombreuses victoires contre les Francs, connaît sa plus grande extension : elle intègre les comtés de Rennes, de Nantes, et le pays de Retz, en 851, à la suite de la défaite sanglante des armées de l’Empereur franc Charles le Chauve, petit-fils de Charlemagne.
- Sous les règnes de Louis XI (1461 à 1483), et de son son fils Charles VIII (1470 à 1498), la France devient une sorte de «superpuissance», de loin la plus importante d’Europe, la plus peuplée, la plus riche. Le rapport des forces contre la Bretagne est de 1 à 10. (armées bretonnes : 5000 hommes ; armées françaises : 40 000 hommes en 1491 ; budget breton : 500 000 livres, budget français : 50 millions de livres).
- Louis XI, en 1479, a fait semblant d’acheter les prétendus droits au trône de Bretagne de Nicole de Blois-Penthièvre, descendante de Jeanne de Penthièvre, qui fut duchesse de Bretagne jusqu’en 1365. Ces droits sont inexistants. Mais Louis XI est familier de ce genre de procédés pour s’emparer des biens d’autrui ; le duché n’est d’ailleurs pas à vendre, la succession au trône étant réglée par la constitution coutumière. Mais c’est en se fondant sur ces droits inexistants, que les armées de Charles VIII envahissent la Bretagne en 1487, et y commettent des atrocités jusqu’en 1491. Le rapport des forces étant disproportionné, la Bretagne est vaincue ; ses armées sont détruites le 28 juillet 1488, à Saint Aubin-du-Cormier.
- Pour tenter de sauver son pays contre les Français, Anne a épousé Maximilien d’Autriche, à Rennes, en décembre 1490. Maximilien, roi des Romains, fils de l’empereur du Saint Empire Germanique, est le prince le plus prestigieux d’Europe. Il est appelé lui-même à devenir empereur à la mort de son père, la duchesse Anne sa femme à coiffer la couronne impériale, les enfants à naître de cette union promis à devenir rois et reines de plusieurs pays européens : la Castille, l’Aragon, Naples, la Hongrie, la Bohème … Charles VIII, furieux, reprend les hostilités, et introduit en Bretagne une armée phénoménale, supérieure à 40 000 soldats. Bien que mariée, d’une manière canoniquement valide avec Maximilien, Anne se voit contrainte, sous l’effet des pressions auxquelles son jeune âge ne lui permet pas de résister, d’épouser le roi de France Charles VIII, qu’elle déteste, à Langeais, le 6 décembre 1491.
- Charles VIII étant décédé, en avril 1498, Anne épouse, de sa propre volonté cette fois, son successeur Louis XII, celui-ci acceptant de négocier avec elle le nouveau statut de la Bretagne, sur un pied d’égalité. Par le traité de mariage du 7 janvier 1499, signé à Nantes, le Duché retrouve tous ses droits, et redevient totalement indépendant. Les institutions, la chancellerie, le gouvernement, l’assemblée nationale (les États de Bretagne) sont rétablis, Anne gouverne comme les ducs ses ancêtres, jusqu’à son décès, qui survient le 14 janvier 1514. A peu de choses près, tout fonctionne comme avant. Par le traité du 7 janvier 1499, Anne de Bretagne a imposé que la Bretagne reste totalement indépendante après son décès, ad vitam aeternam. La couronne de Bretagne sera attribuée à son deuxième enfant, qui devient légitime héritier du Duché, sans que les rois de France puissent mettre en cause cette disposition capitale : la Duchesse a réussi à sauver l’indépendance de son pays, c’est sa grande œuvre.
Mais la France, puissance prédatrice, va faire échec à ces dispositions. Anne décède en janvier 1514, sa fille Claude lui succède en qualité de Duchesse. Louis XII, son père, l’oblige à épouser son successeur, François d’Angoulême, qui devient roi le 1er janvier 1515, sous le nom de François Ier : ainsi s’assure-t-il que sa fille deviendra reine, et que ses petits-enfants régneront sur la France.
Claude meurt en 1524. Elle laisse trois fils. Ce qui, en principe, est indifférent, puisque le traité signé par sa mère en janvier 1498 préserve l’indépendance du duché pour tous les temps à venir. L’héritière légitime du trône de Bretagne, est la deuxième fille d’Anne de Bretagne, la princesse Renée de France, née en 1510. A la mort de sa mère, elle a quatre ans ; élevée à la cour de France, elle est inconsciente de ce qui se passe. Par des manœuvres grossièrement illégales, François Ier la dépouille, non seulement de son immense fortune, mais de ses droits aux trônes de Bretagne, de Milan, de Naples, droits qui lui ont été reconnus par son père Louis XII en avril 1513 (Maulde La Clavière, page 355, Louise de Savoie et François Ier) et par sa mère. Un traité signé à cette époque par Louis XII prévoit que, le temps venu, elle épousera le Charles de Gand, le futur empereur Charles Quint, l’homme qui va régner sur cinq continents : c’est de cela que Renée est dépouillée par le roi criminel du royaume de France.
François Ier, pour se débarrasser de Renée d’une manière définitive, après l’avoir dépouillée de tous ses biens, sauf la promesse d’une dot insignifiante, qu’il ne paiera pas, rompt cette alliance fabuleuse, et la fiance à des princes de plus en plus médiocres. En 1528, au grand scandale de toute l’Europe, il la marie à un principicule italien, Hercule de Ferrare, fils de la célèbre Lucrèce Borgia, fille du pape criminel Alexandre VI Borgia. Ces faits, méconnus ou dissimulés jusqu’à une époque très récente, sont aujourd’hui parfaitement connus, par des archives irréfutables. La France, ainsi, a pu, jusqu’à la divulgation de mes travaux en 2006 à Vannes, accréditer la légende archi fausse de la prétendue « réunion » de la Bretagne à la France, enseignée jusqu’alors dans nos facultés.
Le faux « traité » dit d’ « union perpétuelle » de la Bretagne et de la France
Renée de France, mariée en 1528 avec Hercule de Ferrare, vit chez son mari en Italie, dans le château de la capitale, d’ailleurs malheureuse, et maltraitée par lui. Elle n’est consciente, croit-on, de rien, et ignore les spoliations gravissimes dont elle et le peuple breton ont été victimes, étant une enfant en bas-âge au moment des faits. Son beau frère François Ier a imposé, comme à sa femme Claude, bien d’autres vols, malversations, escroqueries. Hercule de Ferrare petit prince italien, très honoré d’avoir épousé la belle-sœur du roi le plus puissant d’Europe, à supposer qu’il soit informé, est hors de situation de réclamer l’héritage de sa femme, ne disposant guère que de quelques milliers de soldats, et ayant besoin de l’aide des Français pour défendre sa petite principauté. Non content d’avoir dépouillé sa femme Claude et sa belle-sœur Renée de leurs immenses fortunes et de leurs droits sur des riches principautés italiennes qui appartenaient à leur père Louis XII, et aux seigneuries dont leur mère était propriétaire, François Ier a commis d’autres malversations : il a réussi à faire passer les droits de Renée en Bretagne sur la tête de son premier fils, le dauphin François, qu’il fait couronner à Nantes en 1532, puis, celui-ci étant mort en 1536, sur la tête de son deuxième fils Henri, qui lui succède comme duc de Bretagne, et devient roi de France en 1547. Ces deux fils, par le vol monstrueux qui est fait aux dépens de Renée et des Bretons, portent le titre de ducs de Bretagne, le premier en 1532, le second en 1536, sans y avoir le moindre droit.
Le hold up du siècle : l’annexion du plus beau duché d’Europe, État souverain, sans son consentement. En 1532, alors que Renée vit en Italie, âgée de 22 ans, mariée depuis quatre ans, se déroulent en Bretagne les faits les plus dramatiques de notre histoire nationale : l’annexion de la Bretagne, en grossière violation du droit international du temps, avec le concours du chancelier de France, le corrompu cardinal Duprat, et la complicité du premier président du parlement de Bretagne (Louis des Déserts), et de quelques grands seigneurs bretons.
- Le roi François Ier de France se transporte en Bretagne, en mai 1532, dans un apparat impressionnant et menaçant, entouré de sa Cour (plusieurs milliers de personnes, 10000 chevaux, plusieurs milliers de soldats). Il s’arrête à Châteaubriant, pendant un mois, y confère avec plusieurs hauts seigneurs bretons (qu’on appellerait aujourd’hui des collabos), dont le comte Jean de Laval-Châteaubriant, qu’il a nommé gouverneur en 1531, pour préparer le terrain. On y met au point la stratégie pour que l’annexion soit efficace.
- Les États de Bretagne sont convoqués à Vannes, tandis que le roi gagne le château ducal de Suscinio, d’où il surveille les opérations, prêt à intervenir avec ses armées. Les députés se réunissent le 4 août, dans un climat de peur ; tous ne savent pas qu’on va leur demander de se couper la tête. Nul doute que les complices ont été achetés, même si les traces sont peu nombreuses.
- Aucune négociation n’a lieu entre le roi de France et les députés bretons au cours de cette séance historique : les jeux sont déjà faits, les conclusions arrêtées, avant même la réunion. Les Bretons ne sont pas admis à nommer des ambassadeurs, ni à se mettre autour d’une table pour discuter les termes d’un accord éventuel. Ils sont placés devant le fait accompli, et ne sont pas admis à voter. La séance n’est pas dirigée par l’évêque de Vannes, président de droit, ni par le comte de Laval, gouverneur en titre, qui s’abstient d’y paraître, mais par Montejean, haut militaire français, qui se présente devant les députés armé et botté. La séance est houleuse. Plusieurs députés manifestent avec fermeté leur opposition. C’est un scandale. Montejean, irrité par l’opposition des délégués de Nantes, qui exigent de retourner devant leurs électeurs pour connaître leurs ordres, descend de sa tribune, pour tenter de les rosser. Les protestations fusent de partout.
- On donne lecture publiquement d’une déclaration, non d’un texte rédigé avec les députés et paraphé par eux, aux termes de laquelle les Bretons sont censés solliciter (!), humblement, la réunion perpétuelle de la Bretagne avec l’ennemi millénaire, la France ! Aucun texte commun n’est rédigé par les Bretons et les Français. C’est, en réalité, une imposture. Cette déclaration est l’œuvre des Français, très accessoirement des collabos bretons, elle a été rédigée avant la séance ! Jamais les Bretons, qui détestent les Français, n’ont demandé une pareille infamie. A tel point qu’aujourd’hui, elle est dénoncée avec fureur.
Les traités, en Bretagne comme ailleurs, obéissent à une procédure longue et complexe : ils se conçoivent à l’avance, s’élaborent, se discutent, se négocient sur un pied d’égalité par les deux contractants, puis se votent, se promulguent, et se jurent sur les évangiles lorsque leurs clauses sont importantes (Louis Mélennec, La troisième cause de nullité, étude technique du droit des Traités en Bretagne) . Or, aucune de ces formalités strictement indispensables n’est respectée.
- Quelques jours plus tard, le roi de France promulgue un Édit, décrétant qu’il a accepté la « prière » des Bretons, et que désormais, la Bretagne et la France sont unies indissolublement. Les Bretons n’ont rien sollicité, rien demandé, rien voté. Leur vœu le plus sûr, hors quelques seigneurs et autres collaborateurs, est que les Français, détestés, quittent le pays. Le texte qui prétend instrumentaliser cette annexion, n’est pas un traité, mais un édit, c’est-à-dire un acte unilatéral rédigé et proclamé par la France seule : en d’autre termes, c’est une loi française, sans effet juridique possible en Bretagne, pays souverain.
L’imposture du mois d’août 1532, longtemps considérée comme un accord entre deux puissances souveraines, est aujourd’hui analysée clairement comme ce qu’elle est : un montage imposé par la France, sous la menace, dont la seule évocation indigne toute la Bretagne cinq siècles plus tard. Les documents qui proclament cette prétendue «réunion» de la Bretagne à la France sont des chiffons de papier. J’en ai obtenu la confirmation écrite en 2000 par le ministère des Affaires étrangères, par une lettre très explicite, qui confirme que ces textes de 1532 ne sont pas un traité. Les faits ci-dessus avaient été dénoncés par d’Argentré, dans son histoire de Bretagne publiée en 1583. L’ouvrage fit scandale, fut saisi par le procureur du roi, et remis en circulation en 1588, après de sérieuses corrections, car d’Argentré fut accusé par les Français d’avoir porté atteinte à l’honneur de la monarchie, là où l’ignominie était l’œuvre des Français.
Conséquences juridiques : la Bretagne ne fait pas partie de la France
Louis Mélennec
(Ceci est un résumé de la conférence faite à Vannes par le docteur Louis Mélennec, en 2006).