IN WAR RAOK ! - N° 45 - Avril 2015
Youenn Drezen, journaliste et écrivain de langue bretonne, est né à Pont-l’Abbé en 1899. C’est par un premier poste de journaliste qu’il débute sa carrière en entrant à la rédaction brestoise du Courrier du Finistère. Il participe, dans la même année, au Congrès panceltique de Quimper avec des militants nationalistes comme Frañsez Debauvais, l'instituteur communisant Yann Sohier, Jakez Riou, Abeozen, Marcel Guieysse, tous sous la bannière de Breiz Atao. Il collabore ensuite à la revue Gwalarn créée en 1922 par Roparz Hémon. En mars 1925, il traduit en breton des œuvres de l'Antiquité grecque, dont deux pièces d'Eschyle, Prométhée enchaîné et Les Perses mais également des œuvres contemporaines. Il mène de front sa carrière d'écrivain original : une œuvre féconde et variée mêlant poèmes, romans, nouvelles et pièces de théâtre dont la grande particularité est d'avoir été entièrement écrites en breton. Il est l’un des meilleurs écrivains dans cette langue car il sait mêler la vigueur de son parler de Pont-l'Abbé à une recherche de la perfection littéraire. Attentif d'un art total, il s'attache à faire illustrer ses œuvres par des artistes contemporains (René-Yves Creston, Xavier Haas), ce qui l'amène à adhérer à l'association artistique des Seiz Breur.
La Seconde Guerre Mondiale ne ralentit pas ses activités. Il publie régulièrement des articles, certains ouvertement indépendantistes et anti-français, dans « L'Heure bretonne », organe du Parti national breton, ainsi que dans « Stur » (dirigé par Olier Mordrel), « Galv » (dirigé par Hervé Le Helloco) et « La Bretagne » de Yann Fouéré. En 1941, il publie son roman le plus célèbre, Itron Varia Garmez qui raconte la vie du petit peuple, d’un prolétariat breton de Pont-l'Abbé. Il est de ce peuple et se garde de jamais en sortir. Peu après, il devient pigiste à Radio Rennes Bretagne, écrit des pièces radiophoniques de facture traditionnelle et y prononce des causeries. En 1943, il dirige le journal bilingue « Arvor », dont il fait le premier hebdomadaire entièrement en breton. Il y publie des textes contre les Alliés (ces derniers motivés par les 2 300 victimes des bombardements de septembre 1943 sur Nantes).
Il est inquiété à la Libération et arrêté le 6 septembre 1944. Interné au camp Margueritte de Rennes, il est libéré le 10 janvier 1945. Son dossier est classé sans suite mais il fait l'objet d'une interdiction de séjour en Bretagne d'un an. Il est alors soutenu par René-Yves Creston et Marcel Cachin, un des fondateurs du PCF et directeur de l’Humanité !
Après la guerre, Youenn Drezen réside à Nantes. Il collabore à Al Liamm, la revue continuatrice de Gwalarn. Pour les débuts de la revue, il compose un court et élégant récit autobiographique, Sizhun ar breur Arturo, par lequel il entend, d'une part, redire aux milieux anticléricaux que le breton et la religion ne sont pas inséparables. Puis, il se consacre à écrire son chef d’œuvre d’après guerre : Skol Louarn Veïg Trebern (1972-1973), roman inspiré de sa jeunesse pauvre, un univers besogneux mais pittoresque de Pont-l'Abbé d'avant 1914. Youenn Drezen meurt à Lorient en 1972.
La rue Youenn Drezen de Brest fut la première contestée par la très rouge « Libre pensée » du Finistère en 2006. Celle-ci exigeait qu’elle fût débaptisée car « elle porte le nom d’un nationaliste breton qui s’est tristement signalé dans les périodes les plus sombres de notre histoire ». Ces nostalgiques d’une idéologie mortifère se sont également attaqués à bien d’autres militants bretons : Roparz Hemon, Loeiz Herrieu, Polig Monjarret… Aujourd’hui c’est la rue de Pont-l’Abbé qui porte le nom de l’écrivain breton qui est dans le collimateur du Parti communiste français. Ce dernier accuse l’auteur d’Itron Varia Garmez d’avoir « prôné la collaboration avec l’ennemi nazi en professant une idéologie raciale, un antisémitisme et en encourageant la délation des patriotes et des résistants ». Voila un extrait de la prose, ou plutôt de la bile, que l’on peut lire sur le blog du PC bigouden :
« Il serait temps que cette tache incongrue disparaisse enfin du panorama des rues de la ville où cohabitent les rues Jean Moulin, du Général de Gaulle, Louis Lagadic, Rol-Tanguy, où subsiste cet outrage permanent imposé à la mémoire de l'écrivain Auguste Dupouy, père de deux fils résistants qui périrent dans des camps de concentration et dont la rue se situe à la perpendiculaire de celle de Youenn Drezen »…
« Peut-on accepter qu’à notre époque troublée, il soit encore rendu hommage de façon permanente à un homme qui fut un chantre du racisme, de l’antisémitisme, à un auteur pro-nazi qui ne s’est jamais considéré comme Français et qui crachait sur la République ? ».
Rien que cela !
Alors, quel sera le résultat de cette stérile polémique ? Quelle sera la position du maire, Thierry Mavic ? Cédera-t-il aux pressions d’une poignée de fanatiques animés par la haine et dont l’idéologie est responsable de la mort d’environ 200 millions d’êtres humains ?
Affaire à suivre.
Padrig Montauzier.