… « Devant la marée montante du matérialisme qui menace de toutes parts d’envahir les cerveaux et les cœurs, qui gagne tous les peuples, la Celtie se doit de vivre et de proclamer la supériorité de l’idéal et la suprématie de l’esprit. Postés aux confins occidentaux de l’Europe, les peuples celtiques se doivent d’épurer, de spiritualiser la civilisation matérielle et sans âme qui nous arrive d’Outre-Atlantique et qui menace de submerger le vieux monde. C’est à la renaissance de l’esprit celtique que me paraît liée la cause de la vraie civilisation et le salut même de l’Europe. Puissent les peuples d’Europe le comprendre enfin et nous aider dans notre effort de rénovation celtique et bretonne ! Puissent-ils comprendre que jamais une union féconde et efficace de tous les peuples celtiques ne s’est révélée plus nécessaire !
C’est sur ce vœu que je veux terminer ce trop long exposé, avec la certitude que vous tous, représentants de la grande Celtie, vous vous y associerez de tout votre cœur ».
Cette citation est extraite du tout premier livre écrit par Yann Fouéré, « Les saints bretons et leur œuvre nationale » conférence donnée au Congrès Celtique de Dinard en septembre 1933. Je me permettrai plusieurs autres citations, plus politiques, afin que le lecteur puisse correctement cerner la pensée et apprécier le long, très long, parcours politique de l’infatigable militant que fut Yann Fouéré pour sa patrie bretonne et son peuple. En effet, je ne répèterai pas la biographie faite sur le site de la Fondation Yann Fouéré ou celle publiée par Lionel Henry. Je vous conseille de vous y reporter et découvrir ainsi le parcours du militant qui a voué sa vie au service de la Bretagne, de cette grande figure du nationalisme breton et du fédéralisme européen. Yann Fouéré, pour l’avoir bien côtoyé, était « un fin politique » et les dirigeants de l’Etat colonial français voyaient en lui « l’homme à abattre ». En effet, il ne cachait pas ses idées indépendantistes, ses convictions patriotiques, considérant que seul le nationalisme breton était le véritable outil de libération du peuple breton. En parallèle, il était le porte-parole du fédéralisme européen, cette Europe aux cent drapeaux, cette Europe des peuples qu’il a si bien définie dans un de ses meilleurs livres et qui constituait également un de ses combats prioritaires. Dans cet essai politique Yann Fouéré préconise l'organisation de l'Europe sur une base fédérale fondée non plus sur les États-nations (souvent artificiels) qui ont atteint leur apogée au XIXème siècle, mais qui, au XXème, ont outrepassé leur rôle, leurs pouvoirs et leur utilité, mais sur les communautés humaines fondamentales que sont les nations vraies, les patries charnelles de notre continent. Cet ouvrage a profondément marqué la pensée fédéraliste européenne et sert encore aujourd’hui de base commune à la philosophie politique fondamentale des mouvements de libération qui agitent les peuples de l'Europe à la recherche de leur identité. Il a conduit à la création à Bruxelles du bureau permanent des Nations européennes sans État.
La bête noire des gouvernements français disais-je précédemment, oui et Yann le savait pertinemment. C’est ainsi qu’il sera arrêté et connaîtra pendant plusieurs mois les geôles françaises (1975-1976) pour finalement bénéficier d’un non-lieu. Selon les autorités françaises il serait l’idéologue du mouvement clandestin FLB ARB. Il sera une nouvelle fois inquiété suite à la grande vague d’arrestation survenue en 1978. Lors d’un des procès en 1979, Yann Fouéré, en fuite en Irlande, sera condamné à 8 années de réclusion criminelle par contumace. Il faut également préciser que c’est dans l’Avenir de la Bretagne, journal qu’il dirigeait, que sont systématiquement diffusés les communiqués du mouvement clandestin, même si le journal s’efforce de garder une ligne politique récusant officiellement la violence.
Voici deux autres extraits de ce que Yann Fouéré pouvait écrire et signer :
(…) « le plus beau des programmes est insuffisant : les moyens à employer peuvent varier à l’infini selon l’heure et selon les moments. Le peuple breton doit être amené à penser que tous les moyens sont justifiables s’ils nous amènent à cette fin. » L’Avenir de la Bretagne n°35 de décembre 1960.Ou encore :
(…) « que les Gallois brûlent un aérodrome militaire, que la résistance basque attaque les casernes espagnoles, que les Tyroliens fassent sauter les centrales électriques et que les Corses plastiquent les murs des monuments publics », car « aucun d’entre eux n’égalera jamais les excès inverses qui ont été commis contre nos peuples acharnés à vivre alors que l’Etat-nation, à travers les génocides culturels, l’exploitation économique, l’émigration forcée des travailleurs, les emprisonnements et les fusillades les conduisaient sciemment au tombeau. »
Ou cet autre extrait d’un de ses éditoriaux paru dans l’Avenir de la Bretagne n° 29 de septembre 1973 : « Le combat légal est-il suffisant ? »
(…) « Qu’on le veuille ou non, les formations du mouvement breton, les forces professionnelles et syndicales et la population bretonne toute entière, sont de plus en plus inévitablement conduites à se demander si le combat légal est suffisant pour obtenir la reconnaissance de nos droits politiques, économiques, sociaux et culturels les plus élémentaires. A cette question, certes le FLB-ARB a déjà répondu, et fort clairement, par la négative. Qui ne peut regretter, par exemple, que le dernier attentat contre la gendarmerie de Fouesnant, organisé manifestement à l’occasion de la présence de G. Pompidou en vacances en ce lieu, n’ait pas eu le résultat spectaculaire qu’on aurait pu en attendre ?... De telles réactions sont inévitables, autant que nécessaires, si aucune des voies légales par lesquelles les intéressés pourraient obtenir satisfaction n’est susceptible d’amener le moindre résultat. Dans ces conditions, les bombes du FLB-ARB ne sont qu’une réaction saine, normale et naturelle pour attirer l’attention de l’opinion mondiale et exercer sur le pouvoir une pression supplémentaire. Le peuple breton doit une reconnaissance spéciale à ces combattants de l’ombre, qui prennent toujours les précautions nécessaires pour ne pas faire de victimes… ». Yann Fouéré va ainsi mettre la mer entre lui et la République jacobine française. Certains diront même dans les hautes sphères de l’administration coloniale : « Cet homme est dangereux ». Yann Fouéré était un partisan de la non-violence active qui implique des actions au grand jour et l’acceptation de la responsabilité des actes que l’on commet et de leurs conséquences pénales. Il précisait notamment : « Le FLB-ARB puise dans la tradition irlandaise les modèles de son combat. Il est temps que la technique galloise de non-violence active trouve également chez nous des émules ».Enfin, concernant la situation actuelle de l’Europe et de notre Bretagne face à la progression d’une immigration inquiétante qui menace notre identité, Yann Fouéré pose un diagnostic réaliste :
« (…) L’être collectif des « minorités nationales » et des nations sans Etat n’est pas menacé seulement par l’arrivée d’une immigration extra-européenne massive. Il l’est aussi par l’arrivée sur leur territoire d’immigrants de même citoyenneté étatique, mais qui parlent une autre langue et possèdent des caractéristiques différentes des siennes. Les exemples abondent en Europe d’Etats qui ont utilisé au cours de l’Histoire, et utilisent encore, ce moyen pour « assimiler » leurs minorités et tenter de les faire disparaître… L’Etat dominant accentuera encore la « dénationalisation » et l’assimilation des minorités en nommant systématiquement sur leur territoire des fonctionnaires et cadres provenant d’autres régions de l’Etat et non ceux qui en sont originaires que l’on nommera, eux, systématiquement ailleurs. De nos jours enfin sont apparues des sortes de migrations volontaires, parfois massives, temporaires souvent, mais parfois permanentes, de populations à la recherche d’un climat géographique ou d’un cadre plus attractif que celui où elles vivent. Il ne faut pas se dissimuler que ces migrations lorsqu’elles prennent un caractère passif comme elles le font par exemple en Corse, menacent gravement l’équilibre économique et social,l’environnement culturel et les caractéristiques nationales et linguistiques, voire même l’existence, des peuples et des minorités qui les subissent. Ici encore, il existe un seuil qu’il ne faut pas dépasser, un équilibre qu’il s’agit de définir. Qui pourrait apprécier ce seuil et en être juge, au sein de chaque peuple, au sein de chaque minorité culturelle de chaque région, mieux que les intéressés eux-mêmes ? Il importe cependant que les structures politiques et administratives et les règles de droit leur en donnent les moyens, ce qui n’est, encore de nos jours, que fort rarement le cas ».Et précisant ce qui a été de tout temps pour lui une des revendications primordiales pour la Bretagne :
« (…) La nomination, par priorité, de fonctionnaires bretons en Bretagne et bretonnants, c’est à dire, parlant breton en Basse-Bretagne. Le slogan occitan « volèm viure al pais » ne fait que traduire la réaction instinctive de l’être collectif de nos « minorités nationales » et linguistiques désireuses de survivre et d’échapper au départ qui signifie la destruction. Les nombreux « I Francesi Fora » qui fleurissent sur les murs de Corse traduisent le refus profond d’un peuple de disparaître lors même qu’il est devenu minoritaire dans son propre pays. Ne faut-il pas donner à tous ces peuples et à toutes ces « régions » la possibilité et le droit, par des institutions appropriées, de protéger leur être collectif, plutôt que de les abandonner à leurs réactions de désespoir ? Et pourquoi tel citoyen, qui condamnera énergiquement ces réactions chez nos peuples, se trouve t-il porter à les considérer comme compréhensibles et excusables à l’égard d’immigrés et de populations extra-européennes dont le nombre a fini par dépasser le seuil de tolérance dans la collectivité territoriale où il vit ».Je pense qu’avec ces quelques citations le lecteur sera à même de mieux comprendre la pensée et la philosophie politique du militant breton que fut Yann Fouéré. Mais surtout il ne faudrait pas se limiter à ces brefs extraits, lire les nombreux ouvrages édités ou réédités qui sont d’une grande richesse et ne feront que parfaire l’immense travail du principal acteur du mouvement national breton.
Les obsèques de Yann Fouéré eurent lieu à Guingamp où près de 500 personnes sont venues lui rendre un dernier hommage. Une cérémonie émouvante mais également nationale pour le vieux leader de la cause bretonne. C’est dans la basilique Notre Dame de Bon Secours que le dernier message de Yann Fouéré à son peuple fut lu par une de ses filles :
C'est mon corps seulement que vous mettez en terre
Car je vous laisserai l'écho de mes combats;
Que l'exil, la prison, la crainte ni la guerre
Qui ne m'ont arrêté, ne vous arrêtent pas !
(Poème de Yann Fouéré).
Padrig MONTAUZIER.